Aujourd’hui nous allons aborder la périlleuse question de la prescription acquisitive immobilière scientifiquement dénommée l’usucapion.
Il existe plusieurs façons d’acquérir la propriété d’un bien.
Tout d’abord : l’achat. Il s’agit du mode d’acquisition le plus connu et le plus classique. L’acte d’acquisition est nécessairement authentique, c’est-à-dire passé devant un notaire. En règle générale, un premier acte authentique appelé compromis de vente ou promesse synallagmatique de vente est passé, dans l’attente de la régularisation authentique lorsque l’acquéreur disposera du financement.
Le second mode d’acquisition de la propriété est par donation, succession ou legs : il peut s’agir d’une donation du vivant du donateur ou encore de la succession du défunt.
Enfin, le mode d’acquisition qui nous occupe aujourd’hui est l’acquisition de la propriété par le jeu de l’usucapion, à savoir la prescription trentenaire. Dans ce cas, nul besoin d’un titre pour se prévaloir de la propriété d’un bien.
Alors quelles sont les conditions de l’usucapion ?
La prescription acquisitive est définie à l’article 2258 du code civil qui prévoit :
« La prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »
Les articles qui suivent fixent des conditions strictes pour se prévaloir de la prescription acquisitive.
Celui qui s’en prévaut devra rapporter la preuve d’une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
La notion de possession est au cœur de la définition de l’usucapion. En droit, la possession est l’exercice d’un droit indépendamment de sa titularité. Sera donc possesseur celui qui se comporte en pratique comme titulaire légitime d’un droit, qu’il le soit ou non, ce point étant indifférent.

Ainsi, dans l’immense majorité des cas, le possesseur d’un droit en est aussi le titulaire légitime et ce n’est qu’exceptionnellement qu’un décalage entre la titularité du droit et sa possession existe.
L’illustration classique que je rencontre est le cas d’un voisin qui revendique une parcelle de terrain.
En matière immobilière, le possesseur doit démontrer une possession utile, c’est-à-dire qui remplit toutes les conditions édictées par l’article 2261, et trentenaire, à moins qu’il ne dispose d’un juste titre et qu’il soit de bonne foi auquel cas une durée de 10 ans suffit.
Tout d’abord : celui qui se prévaut de l’usucapion en matière immobilière devra démontrer une possession continue et non interrompue.
La possession sera continue lorsque les actes matériels ou juridiques auront été accomplis aux époques auxquelles normalement, le titulaire du droit aurait agi.
Selon la jurisprudence, il faut que la possession ait été » exercée dans toutes les occasions comme à tous les moments où elle devait l’être d’après la nature de la chose possédée, sans intervalles anormaux assez prolongés pour constituer des lacunes et rendre la possession discontinue « .
L’article 2271 du code civil prévoit que :
“la prescription acquisitive est interrompue lorsque le possesseur d’un bien est privé pendant plus d’un an de la jouissance de ce bien, soit par le propriétaire, soit même par un tiers” .
Le possesseur qui se prévaut de l’usucapion devra donc veiller dans son délai trentenaire, de ne pas être dépossédé par un tiers.

Ensuite, la possession trentenaire doit être paisible, c’est à dire non violente.
La cour de cassation estime que la possession est paisible lorsqu’elle est exempte de violences matérielles ou morales dans son appréhension et durant son cours : dès lors, s’il n’est ni démontré, ni même allégué que le possesseur ait » acquis ou gardé la possession des terres revendiquées au moyen de voies de fait accompagnées de violences matérielles ou morales, qui seules peuvent rendre non paisible la possession invoquée pour la prescription « , la simple réclamation, fût-elle constante, d’un tiers, n’empêche pas la possession de son adversaire d’être utile.
La possession doit par ailleurs être publique, c’est-à-dire exercée aux yeux de tous.
Le réel titulaire du droit immobilier doit être en mesure de pouvoir s’opposer à celui qui exerce son droit en ses lieu et place.
Or il est évident qu’une telle réaction n’est guère possible si l’usage du droit par le tiers n’apparaît pas au grand jour. La clandestinité est donc un vice de la possession qui l’empêche de produire son effet acquisitif.
Enfin, celui qui se prévaut de l’usucapion doit, durant le délai d’épreuve de trente ans, s’être comporté comme le véritable propriétaire. C’est l’animus de la possession.
Afin de rendre compte de cette règle, la doctrine distingue entre la possession, qui peut conduire à la prescription, et la simple détention, qui est impropre à permettre un tel résultat.
Ceux qui “possèdent pour autrui” ne sont justement pas possesseurs de la chose, ils n’en sont que de simples détenteurs, si bien que toute prescription acquisitive en leur faveur est par nature exclue.
Par exemple, le locataire d’un bien n’agit pas en qualité de véritable propriétaire et il n’est considéré que comme détenteur de la chose louée et non possesseur. Il ne pourra donc jamais prescrire la propriété du bien loué.
A défaut de se comporter comme le véritable propriétaire du bien, la possession sera viciée d’équivocité et le possesseur ne pourra pas se prévaloir de la prescription acquisitive.
Bien que certains estiment l’usucapion injuste puisqu’elle permet d’acquérir la propriété sans titre, il faut savoir que les règles relatives à l’usucapion sont constitutionnelles.
La 3e chambre civile de la Cour de cassation a en effet estimé que la prétention selon laquelle les règles de l’usucapion, porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 , ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que la prescription acquisitive n’a ni pour objet ni pour effet de priver une personne de son droit de propriété mais de conférer au possesseur, sous certaines conditions, et par l’écoulement du temps, un titre de propriété correspondant à la situation de fait qui n’a pas été contestée dans un certain délai ; que cette institution répond à un motif d’intérêt général de sécurité juridique en faisant correspondre le droit de propriété à une situation de fait durable, caractérisée par une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire.
De même, la Cour européenne des droits de l’homme juge que l’usucapion est conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Elle estime que les États disposent d’une large marge d’appréciation sur cette question, que l’institution ne relève pas de la privation de propriété mais bien de la réglementation de son usage et qu’elle est justifiée par l’intérêt général.
L’usucapion a donc vocation à perdurer !
Il faut donc prendre garde : dès les premiers signes de revendication immobilière de la part de son voisin, il faut très rapidement contacter un avocat afin de faire le point et faire obstacle au jeu de l’usucapion, le cas échéant !